Pourquoi prendre la posture sur la tête ?

Cet article vient compléter celui intitulé « Comment prendre la posture sur la tête » qui décrit la procédure permettant de réaliser aisément Kapalasana.
Dans la mesure où cette posture est fondamentale, beaucoup de choses méritent d'être dites à son sujet. Un seul article aurait risqué d’être trop long. Aussi, ai-je préféré le scinder en deux pour convenir aux petits appétits ! 
Ces deux textes s’apportent réciproquement l’un à l’autre. Ainsi, lorsqu’on aura assimilé les bienfaits de cette posture, le désir de la réaliser se verra accru considérablement et il nous sera alors plus facile de mettre en œuvre les recommandations techniques décrites dans le premier article.
Kapalasana, comme nous l’avons vu, comporte deux phases : la première consiste à réaliser le triangle d’appui et à poser les genoux sur les coudes, tandis que la seconde concerne l'élévation du bassin et le déploiement des jambes pour adopter la posture complète. 
Nombre des bienfaits de Kapalasana sont obtenus dès la première phase. Aussi, que les personnes qui parviennent à poser les genoux sur les coudes sans réussir à déplier les jambes,  n’en soient pas chagrinées : leurs efforts sont dès à présent couronnés de succès. Simplement, la phase finale portera ces effets positifs à leur apogée. 
Kapalasana constitue un remède puissant à de nombreux maux actuels. Aussi allons nous, dans un premier temps, préciser certains défauts de notre mode de vie contemporain (I). Nous pourrons, ensuite, mieux percevoir l’apport fondamental de Kapalasana : cette posture pallie les inconvénients de notre sédentarité (II). 
 

 I Les défauts de notre mode de vie contemporain

Nos comportements actuels s'avèrent en désaccord avec une donnée physiologique de notre espèce humaine, dont il nous est totalement impossible de nous affranchir. 

II. Notre verticalité fait peser sur notre organisme une contrainte formidable 

Les êtres humains, à la différence de nombreux mammifères, marchent sur deux jambes et utilisent leurs membres supérieurs pour accomplir de nombreuses activités. C’est presque une prouesse, dont nous ne nous rendons pas souvent compte, d’être passés, au fil des millénaires, d’une position de quadrupède à une attitude verticale dans laquelle nous ne prenons appui que sur la faible surface de nos pieds. La joie manifestée par les jeunes enfants qui parviennent - enfin! - à se mettre debout et à marcher nous le rappelle à chaque nouvelle naissance. 
Mais ce passage à la bipédie s'est payé d'une contrainte physiologique énorme : faire remonter le sang appauvri en oxygène des parties basses du corps vers notre cœur. C'est bien d'une prouesse dont il s'agit là car il faut alors lutter contre la gravité qui dirige spontanément les fluides vers le bas. Ce défi est comparable à celui consistant à faire remonter au sommet d’une montagne la cascade préalablement tombée dans la vallée !  
Pour réaliser une telle prouesse, notre organisme dispose de trois lutteurs formidables qui œuvrent de concert : les muscles des jambes, le diaphragme et le cœur.
Grâce à la marche, les muscles de nos jambes compriment les vaisseaux veineux et font remonter le sang vers le bassin. La présence de valvules dans les conduits veineux empêche la redescente naturelle du sang vers les pieds. 
 
Ce travail des muscles des jambes se trouve relayé par l’activité du diaphragme, ce grand muscle respiratoire, en forme de cloche, situé sous nos poumons. Grâce à sa mobilisation, tout le contenu de la cavité abdominale se trouve puissamment brassé. Sous l’effet de cette pompe, le sang veineux, qui risquait de stagner dans notre bassin et notre abdomen, se trouve aspiré vers le haut en direction du cœur.
Le muscle cardiaque peut alors remplir pleinement son office : grâce à l’habile jeu des valvules, le sang chargé en dioxyde de carbone pénètre dans l’oreillette droite, puis le ventricule correspondant, pour s’en trouver chassé par l'artère pulmonaire. Celle-ci apporte alors le sang aux poumons, où il perd son gaz carbonique et s’enrichit en oxygène. Le sang revient alors vers le cœur gauche pour être propulsé par l’aorte dans les différentes parties de notre corps.
coeur humain


Le bon fonctionnement de cette savante ingénierie exige donc une excellente mobilisation musculaire. Ainsi, chaque jour, nos jambes ont besoin d' accomplir une marche dynamique. Par ailleurs, notre respiration a besoin d’être ample, profonde, déployée en trois parties (voir notre article «une respiration harmonieuse pour une vie meilleure"). Si ces deux conditions sont remplies, alors le coeur peut accomplir son travail de pompage dans de bonnes conditions. 
 
 
12. Notre vie sédentaire nuit à notre circulation sanguine
 
Ce délicat équilibre a longtemps été respecté par notre mode de vie. Ainsi, au temps béni des cavernes, le chasseur, dans un échange viril avec quelques prédateurs, réglait ses différents au prix d’une bonne course et de quelques coups de massue ! Il n'était pas certain de rentrer à coup sûr, le soir, à la caverne; mais, au moins, il ne souffrait pas de jambes lourdes et d’hémorroïdes ! 
Quelques millénaires plus tard, une fois les nomades sédentarisés, le travail de la terre - labourage, semis, récoltes - assurait l’indispensable mobilisation des jambes et du diaphragme.  Mais avec la mise en place du travail posté à l’usine, puis le déplacement des activités vers le bureau, et enfin le recours au télétravail, nos mouvements corporels se sont rétrécis comme une peau de chagrin. Au triptyque « métro – boulot- dodo » qui caractérisait la deuxième moitié du XXe siècle, a succédé le diptyque « ordi-dodo » encore plus réducteur !
Pas étonnant, dans ces conditions, qu’Homo Sapiens ne se porte pas très bien ces jours-ci !
Prenons maintenant un peu de temps pour identifier ce qui, dans notre mode de vie contemporain, nuit à notre santé vasculaire.  
D'abord, nous ne marchons plus suffisamment ! Ce faisant, les muscles des jambes ne parviennent plus à lutter contre la pesanteur. Le sang stagne ainsi dans les jambes provoquant une sensation de jambes lourdes qui s’accentue au fil de la journée et conduit à l’apparition de varices et d’hémorroïdes (voir dessin). 
 
A gauche, veine normale. A droite, varice
La position assise, avec le tronc voûté et la cage thoracique comprimée devant l’écran d’ordinateur, gêne le déploiement de la respiration diaphragmatique. Ce faisant, le sang stagne dans les viscères abdominaux, ne favorisant pas le bon fonctionnement de ces valeureux artisans. La digestion s’accomplit moins bien, le transit intestinal est freiné. Gare à la descente d'organes !
Descente d'organes :1 le foie 2 l'estomac 3 intestin 4 sexe


Le muscle cardiaque se trouve alors surmené : il doit assumer seul un travail de pompage beaucoup trop lourd pour lui. Alors, il s’use prématurément. Cette usure fera alors le lit de pathologies cardiaques, dont l'infarctus du myocarde.
Par ailleurs, le cerveau, formidable consommateur d’oxygène, se trouve moins bien alimenté et voit donc ses capacités s’étioler.
Voilà pour l’état des lieux. Guère engageant, me direz vous ! Mais tableau ô combien réaliste  et dans lequel nombre de nos concitoyens peuvent se reconnaitre. 
Heureusement, le Hatha Yoga, peuvent nous délivrer de ces maux, et particulièrement la posture sur la tête, !
 
2 Les bienfaits de la posture sur la tête contrebalancent les méfaits de la sédentarité
 
Les effets positifs de Kapalasana sont multiples et concernent différentes parties de notre corps. Nous allons les détailler ici en remontant des pieds à la tête.
 
21. le soulagement des jambes
Le retour du sang veineux vers le cœur se trouve favorisé dans la posture inversée puisque la pesanteur devient alors notre alliée. Les jambes lourdes se dégonflent, et les veines retrouvent une forme plus effilée. Kapalasana concourt ainsi à prévenir l’apparition des varices et à les soulager quand elles ont  commencé à se manifester.
 
22. Un meilleur fonctionnement des viscères du bassin et de l’abdomen
Le retournement du corps soulage les viscères abdominaux qui se trouvaient tassés, comprimés. L’ensemble du processus digestif se trouve ainsi favorisé. Le foie se trouve particulièrement décongestionné.
Grâce à la posture, le transit intestinal se trouve régulé, la constipation soulagée et l’apparition d’hémorroïdes combattue efficacement.
Kapalasana prévient aussi l’apparition de la descente des organes abdominaux, qui se trouvait favorisée par le maintien prolongé de la  position assise et l'absence de mobilisation des muscles abdominaux.
 
 
23. l'expansion de la respiration diaphragmatique
Kapalasana favorise la prise de conscience de l’importance de la respiration abdominale. Nombre de nos contemporains souffrent, en effet, des méfaits d’une respiration superficielle, rapide qui fait le lit de la nervosité et de l'anxiété, sans même avoir conscience qu’ils pourraient respirer autrement.
Dans la mesure où Kapalasana libère la cavité abdominale, cette posture permet le déploiement  aisé, confortable de la respiration diaphragmatique. Adopter cette posture nous permet alors de mieux ressentir les bienfaits de cette respiration. Une telle prise de conscience nous aidera ensuite à la placer plus facilement dans notre vie quotidienne, notamment au bureau, devant notre écran d'ordinateur.
La mise en oeuvre de Kapalasana se révèle aussi particulièrement appropriée pour les personnes asthmatiques, qui ont une tendance involontaire, à respirer exclusivement par le haut du buste. 
 
24. le soulagement du travail du coeur
Grâce à l'adoption de la position inversée, notre coeur n'a plus à fournir d'immenses efforts pour que le sang veineux vienne aux poumons s'y recharger en oxygène : la gravité s'en charge. 
La discipline du Hatha Yoga est d'ailleurs à ce point excellente qu'il n'est pas necessaire de demeurer longtemps dans Kapalasana pour offrir à notre coeur un soulagement et une récupération véritables. Ainsi une pratique journalière d'une à 2 minutes  suffira amplement à procurer à notre coeur des "vacances bien méritées". 
Bien sûr, on peut se dire  : " Très bien, mais pendant ce temps d'autres régions du corps ne vont elles pas pâtir d'une moindre irrigation sanguine ? " Certes, nos pieds seront brièvement moins irrigués en sang artériel, mais ils n'en souffriront pas.
Dès lors que l'on ne demeure pas une heure dans Kapalasana, il n'y a pas à s'inquiéter d'une quelconque désorganisation. "Cela tombe bien d'ailleurs", me direz vous : vous n'aviez pas l'intention de devenir une chauve-souris !


25. La tonification de la musculature du tronc
La posture contribue au renforcement de la musculature située dans le haut de notre corps en raison des efforts qu’il faut fournir pour préserver notre équilibre et ne pas chuter. Comme on le perçoit nettement dès qu'on s'installe dans Kapalasana, les muscles des bras, des épaules, ainsi que ceux du dos et de l’abdomen se trouvent vigoureusement mis à contribution et ainsi fortifiés. 

26. Une action multiple au niveau de la tête
C’est indiscutablement dans la partie supérieure de notre corps que Kapalasana dispense ses bienfaits les plus importants. Plusieurs effets remarquables méritent notre attention.
 
. La préservation de la jeunesse du visage
C’est une expérience que nous faisons tous immédiatement : Kapalasana provoque un afflux sanguin au visage, à tel point que nos traits s’en trouvent momentanément déformés.
Un tel afflux sanguin est extrêmement bénéfique : il assure la régénérescence des cellules de la peau. Kapalasana concourt ainsi puissamment à atténuer les rides, à effacer les poches d’eau sous les yeux, et, de façon générale, à préserver la jeunesse du visage.
La recherche de cet effet esthétique constitue souvent une source de motivation puissante pour s'adonner à Kapalasana de façon régulière.
Hormis ces effets de surface, la meilleure irrigation sanguine induite par Kapalasana dispense l'essentiel de ses bienfaits en profondeur, à l’intérieur de notre boite crânienne, comme nous allons le voir maintenant. 
 
. L’accroissement des fonctions cognitives
Kapalasana est considérée comme une posture souveraine pour préserver et même accroitre les performances intellectuelles. D’ailleurs, Sri Mahesh la recommandait à tous les étudiants qui se préparaient pour leurs examens universitaires.
Toutefois, à la différence de l'action sur la peau de notre visage, ces bienfaits de Kapalasana sur le fonctionnement de notre cerveau ne nous sont pas spontanément perceptible. Notre imagination nous ferait même immédiatement craindre pire. Nous nous disons intérieurement : « dans cette attitude si peu naturelle, non seulement je risque de me rompre le cou et de finir avec une minerve, mais, en plus, mes vaisseaux sanguins risquent bien d' exploser par l’afflux sanguin massif qu’elle provoque ! »
Pour comprendre le rôle essentiel joué par la posture sur la tête et percevoir pourquoi une place de prédilection lui est réservée dans de nombreuses séries classiques de Hatha Yoga, il importe de fournir quelques explications sur le rôle du cerveau et son fonctionnement.
L’étroite corrélation entre le niveau de nos performances intellectuelles et l’approvisionnement de notre organisme en oxygène est un phénomène désormais reconnu car démontré scientifiquement. Ainsi, l’expérience suivante a pu être menée de nombreuses fois : des sujets qui réalisent un test de calcul mental tout en pédalant sur un vélo voient leurs performances psychiques diminuer à mesure que le travail musculaire devient plus intense : les cellules musculaires absorbant plus d’oxygène, la part qui reste disponible pour les neurones se raréfie d'autant. 
Notre cerveau, véritable ordinateur central, assure de multiples fonctions : il procède à la régulation de toutes les fonctions vitales de notre organisme. Il est ainsi le lieu de l’élaboration de la pensée, le siège des émotions et de la mémoire, ainsi que le centre de production du langage. A côté de ces fonctions accomplies consciemment, le cerveau supervise la bonne exécution de multiples tâches réalisées de façon inconsciente : régulation du rythme cardiaque, mais aussi contrôle du rythme respiratoire, des sécrétions hormonales….
. Le renforcement de l’acuité des organes sensoriels
Enfin, un des bienfaits non négligeables de la posture sur la tête concerne le bon fonctionnement des organes sensoriels.
Nos organes des sens se trouvent principalement situés dans la partie haute de notre corps : les yeux, les oreilles, la bouche, le nez sont disposés sur notre tête, tandis que la peau couvre tout notre corps. Gràce à ces organes nous captons des formes, sons, gouts, odeurs et contacts tactiles qui nous mettent en relation avec le monde et nous permettent d’adapter notre comportement en fonction de notre environnement.
Grâce à la puissante irrigation sanguine induite par la posture inversée, la régénération de ces organes se trouve favorisée. Ceci contribue au maintien de leurs performances. Il est même possible, par une pratique régulière de Kapalasana, d’en rétablir le bon fonctionnement si ces organes ont été altérés au fil du temps.
Les effets correcteurs de Kapalasana sont particulièrement notables à propos de  la vue, qui est le sens que les êtres humains sollicitent le plus.
 
CONCLUSION
Les bienfaits de Kapalasana sont donc très nombreux. En inversant la disposition du corps, cette posture lutte efficacement contre les méfaits de la sédentarité sous ses multiples aspects : amélioration de la circulation veineuse, protection des viscères abdominaux, soulagement du travail du cœur, meilleure oxygénation du cerveau permettant d'en développer les capacités.
Toutes ces raisons font de Kapalasana  une des douze postures fondamentales du Hatha Yoga.
La compréhension de ces multiples bienfaits vous aidera à surmonter vos éventuelles réticences à l'égard de cette posture, en apparence si peu naturelle, et à fournir les petits efforts physiques indispensables pour l'adopter (cf. notre article : comment prendre la posture sur la tête).
Enfin, si malgré vos efforts, Kapalasana vous demeure physiquement inaccessible, la connaissance de ses bienfaits n'en demeure pas moins indispensable : on en retrouve plusieurs dans de nombreuses autres postures inversées, dont Viparitakarani, et Sarvangasana (voir nos articles relatifs à ces deux postures). Vous parviendrez ainsi à mieux comprendre les effets positifs de ces postures ce qui vous permettra de les accomplir avec plus de profit.
 
Dernier conseil, enfin : adoptez une approche progressive et respectueuse de vous même. Comme nous l'avons déjà indiqué, une pratique très brève, d'une durée comprise entre une et deux minutes, sera suffisante pour permettre à votre organisme de préserver sa jeunesse et de développer ses capacités.

 
Christian Ledain, 
professeur de la Fédération Française de Hatha Yoga